(Original paru dans La Distinction, no 189 du 20 juin 2023, p.3)
Les autres Benoît XVI
Le cardinal Ratzinger est apparu sous une dizaine d’avatars comme personnage de roman avant qu’il n’accède à la papauté. Dans deux romans, il devient pape, Clément XV ou Pie-Innocent Ier, dans un troisième, il échoue, dans deux autres romans, il meurt de manière suspecte.
La pape du Grand Remplacement.
Longtemps avant que Ratzinger ne devienne Benoît XVI, ce nom est à la mode dans la fiction vers 1973. D’abord dans un horrible manifeste de Jean Raspail, un ouvrage qui inaugurera le fantasme du Grand Remplacement et sera l’un des ouvrages de références de Jean-Marie Le Pen comme le raconte le podcast de Radio-France: L’obsession nationale par Philippe Collin. Il s’agit de Jean Raspail, Le Camp des Saints, Paris, Robert Laffont, 1973. Sans rompre avec l’action de son prédécesseur, mort dans la misère, qui avait bradé le Vatican et l’intégralité de ses trésors pour ne même pas réussir à payer le budget annuel de l’agriculture pakistanaise, le naïf Benoît XVI réagit très vite et généreusement à la grande migration indienne vers l’Europe, d’abord par un communiqué larmoyant, ensuite en organisant un pont aérien en direction des réfugiés de la faim, qui en refusent les dons avec violence. Le pape s’oppose à une résistance armée contre cette armada des pauvres, en adjurant la chrétienté de les accueillir. Il disparaît dans une accident d’avion prélude à l’écroulement de l’occident.
Un pape de transition
Bruce Marshall, Urbain IX, Paris, Seuil, 1974, original anglais en 1973, fait de Benoît XVI le successeur de Paul VI. Il n’a jamais réclamé les bilans de l’administration du patrimoine du Saint-Siège et de la Cité du Vatican. Il a élevé au cardinalat l’archevêque de Compostelle, a eu quelques problèmes avec l’Eglise de Hollande, a sacré évêque le père Spyers, futur Urbain IX, qui succèdera à Marx Ier qui meurt dans un accident d’avion. Benoît XVI n’a pas été très clair au sujet de la guerre et du nucléaire, il a également fait cardinal le très intégriste évêque de Chicago John Joseph Polycarp Sweeney. Il a prépare l’avénement du redouté Pie XIII.
Un nom à la mode
Oeuvre posthume de l’écrivain italien mort en 1973, Guido Morselli, Rome sans pape, chroniques romaines de la fin du XXème siècle, Paris, Gallimard, 1979, original italien publié en1974 écrit en 1966 et décrivant les années1990. Ce roman humoristique s’interroge sur les raisons pour lesquels Jean XXIV, successeur de Paul VI et de Libero Ier n’a pas choisi de s’appeler Benoît. Il vit dans un motel à quelques kilomètres de Rome. Il est irlandais, fiancé à une théosophe de Bangalore, le mariage des prêtres est la règle. La théologie de la libération admise, il faut un diplôme de métallurgiste pour être ordonné, réponse à la condamnation des prêtres ouvriers. On projette un pontificat à durée limitée.
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Nécrologie d'Heinrich Gretler, 24h, 3 octobre 1977, p.5, Bild & News. |
Un pape à New-York
A la. même époque, l’auteur dramatique brésilien Joao Bethencourt met en scène un enlèvement de Benoît XVI, pape des pauvres à New-York par un chauffeur de taxi juif pacifiste, la pièce est représentée à Paris adaptée par André Roussin en 1975, diffusée de nombreuses fois dans Au Théâtre ce soir. puis tourne dans la version d’André Ernotte dans le monde entier, jouée par de nombreuses troupes amateurs la dernière fois à Vollèges en 2001 et pour les professionnels à Zürich en 2022. Ce fut en 1973 en allemand le dernier rôle d’Heinrich Gretler, le célèbre comédien suisse interprète de Brecht et grand-père de Heidi. Il mourra l’année où Ratzinger est nommé archevêque et cardinal. On aurait pu croire à l’influence de cette pièce sur le choix de Ratzinger mais, hélas, dans la version germanophone Benoît XVI est remplacé par un Albert IV. Puis Benoît XVI disparaîtra pendant 30 ans de la fiction.
Un pape asiatique
Stéphane Bodénès, Le Pape et le tombeau vide, Genève, Slatkine, 2004. Benoît XVI, John Cuang est canadien d’origine vietnamienne, il succède à un sud-américain non nommé, mais surnommé «Le Condor»qui disparaît dans un accident d’avion, lui-même successeur de Jean-Paul II. Et ce n’est pas le seul dans la bibliothèque des papocryphes, ou la mode exotique est soit de partir vers l’est d’où venait Jean-Paul II ou d’en trouver l’antidote du côté de l’Amérique latine. Ce Benoît XVI-là en proie au doute tranche avec le professeur et gardien du dogme qui va être élu sous ce nom quelques mois plus tard.
Une étude de pontifictionnologie, portant sur des centaines de fictions sur huit siècles montre qu’aucun pape élu n’a jamais repris le nom d’un pape fictif. Comme s’il voulait éviter dans la tentation superstitieuse qui guette le catholicisme qu’on ne lise la fiction comme un prophétie. Or l’élection de Benoît XVI pour la première fois a imposé sur le siège romain un pape dont l’histoire est déjà écrite. Le savait-on à Rome? Que signifie cette rupture?
Une communication magistrale sur le sujet avait été faite à la Médiathèque Valais, le 12 mai 2005; jusqu’au 10 septembre 2023 au Musée de Bagnes, une salle entière questionne le rapport des papes de fiction à l’histoire. Nous reviendrons sur cette question dans un prochain numéro.
Daniel Rausis, Institut de Pontifictionnologie.
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