samedi 25 novembre 2023

Benoît XVI dans la fiction III

(Original paru dans La Distinction, no 189)

Le vestiaire pontifical dans les parutions des Éditions de l’Aire

 «J’ai des harnais/ C’est pas discret / Mitre et sandales / Gilet pare-balles / J’suis tout en blanc / C’est salissant»  Pierre Perret 

La pontifictionnologie distingue plusieurs formes de fictions concernant les souverains pontifes. Son champ d’investigation privilégié est celui des papes fictifs nommés dans des oeuvres d’imagination. Elle tente de repérer également les papes réels dans la fiction que ce soit avant ou après leur accession au pontificat. Les deux champs peuvent se recouper, puisqu’il est possible qu’un cardinal réel qui devient pape fictif dans un roman, puisse puisse plus tard devenir réellement pape. 

A l’occasion du décès de Benoît XVI, nous avons dans un premier temps suivi le destin des avatars de Joseph Ratzinger avant qu’il ne soit le pape Benoît XVI. (La Distinction no 186, p.9). On retiendra dans cette catégorie le roman de l’auteur belgo-suisse Jacques Neirinck, Le Manuscrit du Saint-Sépulcre, Paris, Cerf, 1996. Ratzinger (sous le nom de Joseph Weiss) y meurt. 

Puis nous avons documenté les autres Benoît XVI (La Distinction no 187, p.3). Ici aussi on prendra comme modèle le roman d’un auteur franco-suisse Stéphane Bodénès, Le Pape et le tombeau vide, Slatkine, Genève, 2004 où un Benoît XVI est élu pape juste avant Ratzinger. 

Je me propose d’explorer un autre cas de figure aujourd’hui. Ce sont les fictions autour du vrai Benoît XVI - Ratzinger. Puisqu’il ne s’agit ici que de préciser la nomenclature des papocryphes, nous allons par coquetterie nous restreindre aux auteurs suisses ayant publié à l’Aire. On se référera pour une exhaustivité à un futur et espéré Pontictionnaire aujourd’hui en chantier. 

Desarzens 

La première fiction est signée de l’autrice franco-suisse Corinne Desarzens, Le Verbe être et les secrets du caramel, Vevey, L’Aire, 2006. A la première lecture on pourrait penser que les deux pages du chapitre Benedetto XVI ne sont rien qu’un récit des quelques minutes qui entourent l’annonce de l’élection de Benoît XVI, mais à s’y pencher avec attention, on constate qu’il s’agit bel et bien d’une fiction. D’abord la scène de l’annonce de l’élection est fondue avec des images de l’enterrement de son prédécesseur. La sonnerie du glas. Le vent (qui) agite et fait claquer les pages de la Bible. Ce qui fut effectivement le cas à l’enterrement de Jean-Paul II pour l’évangéliaire posé sur son cercueil (et non sur une table.) Puis l’autrice imagine l’élu choisissant l’une des trois chasubles, en réalité l’une des trois soutanes . Elle met dans la bouche du proto-diacre chargé de l’Habemus papam une formule fantaisiste et en fait un cardinal argentin, en réalité un cardinal chilien. Ce dernier point est un trait de génie prophétique de Corinne Desarzens puisque le seul argentin du conclave de 2005 est Jorge Mario Bergoglio, qui sera élu sept ans après la parution de l’ouvrage. 

Salamanca 

C’est précisément au lendemain de l’élection de François que débute le roman d’Yvan Salamanca, Les Couvents d’eau claire, Vevey, L’Aire, 2019. Benoît XVI qui fut Joseph Ratzinger va devenir Aloisius. Lui qui a laissé choir la Plume radieuse et qui a quitté les plus glorieux habits sait ce que veut dire se retrouver soudainement dépouillé: et cela ne lui déplaît point. Et en pensant à Benoît l’archaïque Il se dit, je ne veux plus de titres; je ne veux plus d’honneurs; je ne veux plus trembler,; je ne suis pas émérite : je suis Aloisius, vieillard. Apache. L’or ne vaut pas plus que l’air (…). Un roman sur le retour à la vie et la liberté retrouvée, comme un manuel du lâcher-prise à la retraite. 

Layaz 

Pour combler la distance entre les récits de l’élection de Joseph et de la retraite d’Aloisius il y a le Benoît Seize d’Alphonse Layaz, Frontières, L’Aire, 2013. Une caricature à la manière de Prévert: 

Par mégarde vaticane 

Le successeur de Pierre et du Polak 

S’est emmêlé ses jupons sacrés 

Dans sa crosse pontificale 

Il pousse un juron terrible 

Mystique 

Et infaillible 

En allemand en latin 

Et dans tous les idiomes connus 

Urbi et orbi. 

Pas plus que Corinne Desarzens, Alphonse Layaz n’est familier avec le vestiaire pontifical, le pape ne se servant pas d’une crosse mais d’une férule. Mais peu importe les jupons sacrés si, comme le chante Léo Ferré dans l’exergue au roman d’Yvan Salamanca qui connaît la mitre, la mosette, la calotte, la soutane, la camauro, le saturne, le fanon et la tunique:

 «Je suis sûr que la vie est là /Avec ses poumons de flanelle.»

 Daniel Rausis, Institut de Pontifictionnologie

 

 

 

Post scriptum: 

Je taquine ci-dessus Laya qui malgré toutes ses qualités n'est pas familier avec le vocabulaire ecclésisatique. Ainsi:

Dans Le plus beau son du monde, L'Aire, Vevey, 2023, pp.30-31: Il dit du dominicain Raymond Léopold Bruckberger qu'il est "moine rebelle" et "bellâtre en soutane". Or les dominicains ne sont pas des moines et vivent dans des couvents et non pas dans des monastères. Ils ne portent pas de soutane, mais un habit composé d'une tunique serrée, d'un scapulaire, d'un capuce blancs et parfois un manteau noir.

 

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